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Certains parents très exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes ont décidé de mettre au monde non pas un enfant, mais un enfant heureux et destiné à le demeurer jusqu’à la fin de leur vie. Seulement tout faire pour son enfant, c’est aussi étouffer pour lui.
Une opinion de Bruno Humbeeck, psychopédagogue, formateur au centre de formation pour enseignants de l'université de Mons.
De l’enfant non voulu à l’enfant souhaité, tout un chemin avait déjà été parcouru par la grâce d’une contraception de mieux en mieux généralisée. De l’enfant désiré à l’enfant programmé, la route s’est encore de nos jours poursuivie faisant de la procréation un acte de mieux en mieux maîtrisé. Or, des enfants désirés et programmés, c’est exactement ce qu’il fallait pour mettre d’emblée sous pression ces parents nouveaux qui, parce qu’ils doivent maintenant assumer la responsabilité totale de la venue au monde de leur enfant, se sentent, du même coup, responsables de tout ce qui lui arrive comme de tout ce qui pourrait lui arriver. Et ces parents hyper-responsables deviendront rapidement des parents oppressés présentant un ensemble de symptômes que nous désignons à travers le concept d’hyper-parentalité.
L’hyper-parentalité n’est pas, à proprement parler, une maladie ni même un désordre. A priori, cette forme d’éducation parentale désigne seulement une tendance, celle de parents très exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes, qui ont décidé de mettre au monde non pas un enfant mais un enfant heureux et destiné à le demeurer jusqu’à la fin de leur vie.
Cette forme de parentalité hypertrophiée se manifeste généralement par l’apparition de trois symptômes qui ont tendance à se renforcer mutuellement en s’organisant en syndrome. Dans sa forme aggravée, l’hyper-parentalité fatigue l’enfant en même temps qu’il épuise son parent. Burn out parental et/ou de l’enfant, phobie scolaire, troubles de l’apprentissage multipliés par "dys" et tout le cortège des autres difficultés éducatives contemporaines comme l’hyperkinésie ou le haut potentiel viennent alors masquer le diagnostic en attirant l’attention sur un symptôme spectaculaire qui n’est en réalité que l’indice d’un trouble plus profond qui affecte la parentalité dès lors qu’elle met sous pression l’acte éducatif et ceux qu’il concerne.
Le paroxysme de cette symptomatologie est le plus souvent atteint à l’adolescence. L’adolescence exerce effectivement généralement sur le processus éducatif le même effet que la levure sur le pain. Elle gonfle tout. A bout de souffle, certains parents en viennent alors à consulter dans l’urgence pour une crise de l’adolescent qui, le plus souvent, demeure, il faut bien en convenir, essentiellement la leur.
Le "parent-hélicoptère"
Le premier de ces indices, en révélant la volonté du parent de contrôler tout ce qui se passe dans et autour de la vie de l’enfant, contribue à l’installation du symptôme que l’on identifie sous le vocable de "parent-hélicoptère". Dans cette forme de parentalité, l’occupation essentielle du parent consiste à se transformer en hélicoptère et à "tourner" de façon un peu "névrotique" autour de son enfant en manifestant à propos de tout ce qu’il vit une vigilance exacerbée et constante. "Que fais-tu ?", "Qu’est-ce que tu lis ?", "A quel jeu joues-tu ?", "Qui fréquentes-tu ?"… Le parent-hélicoptère se nourrit de ses propres contradictions chaque fois qu’il émet un certain nombre d’injonctions paradoxales du style "Ne t’éloigne pas de moi et sois autonome", "explore ton environnement pour apprendre tout en restant à mes côtés". Toutes ces injonctions parfois contradictoires invitent à favoriser le contrôle permanent de tout ce qui entoure l’enfant et s’avère susceptible de le menacer tout en promouvant en apparence son indépendance.
Le "parent-drone"
Le deuxième symptôme qui définit l’hyper-parentalité manifeste en quelque sorte une forme aggravée de "parentage-hélicoptère" : c’est une attitude qui est généralement désignée à travers le concept de "parent-drone". Ce trouble du comportement parental évoque l’attitude du parent qui ne tolère que ce qui lui semble, à ses yeux d’adulte, le meilleur pour son enfant sur le plan éducatif comme sur celui de son développement individuel. La meilleure école (et tant pis pour la mixité scolaire), le meilleur jeu (plutôt un jeu éducatif ennuyeux qu’un jeu vidéo amusant), le meilleur dessin animé (plutôt "Kirikou" que "Bob l’éponge"), le meilleur cours particulier… le meilleur "tout ce que vous voulez" pourvu que ce soit le meilleur… et que cela contribue à rendre son enfant encore meilleur…
Cette propension à ne concevoir pour l’enfant que ce qu’il y a de meilleur en toutes circonstances amène également le parent à ne tolérer chez le petit être en développement dont il a la charge que la recherche d’émotions positives (la joie) en évacuant tout le registre émotionnel qui s’en éloigne (tristesse, colère, peur, dégoût).
Le "parent-curling"
Enfin, le troisième symptôme de l’hyper-parentalité désigne la tendance névrotique à n’agir en permanence qu’en fonction du bonheur présent de l’enfant et de sa réussite future. Cette exigence que le parent se fixe à lui-même évoque un ensemble d’attitudes que l’on regroupe généralement sous le vocable de "parent-curling". La métaphore du curling est en effet particulièrement adaptée pour non seulement évoquer l’acte éducatif (celui-ci prend la forme d’un "lancer" harmonieux suivi d’un "lâcher" au bon moment susceptible de mettre celui que l’on éduque en position d’atteindre la cible) mais aussi suggérer ses dérives névrotiques (lorsque pour atteindre la cible les joueurs prennent le parti de balayer énergiquement devant le palais pour favoriser son évolution en direction de l’objectif)…
Ce balayage particulièrement spectaculaire et énergivore évoque ce que font les parents quand, obnubilés par l’idée de participer à la réalisation du bonheur de leur enfant, ils focalisent leur attention sur lui et concentrent l’essentiel de leurs activités sur l’accompagnement actif de son développement. Oublieux d’eux-mêmes, les parents-curling perdent alors souvent de vue que la réussite de l’acte éducatif dépend surtout de la qualité du lancer-lâcher initial et imaginent pouvoir exercer une influence déterminante sur la trajectoire de leur enfant, au-delà du mouvement premier, en balayant nerveusement devant lui tout au long de son développement. Ils consomment ainsi une énergie considérable pour ne retirer en définitive de leur action qu’une forme d’illusion de contrôle.
Evidemment, l’exercice de l’hyper-parentalité et l’expression de ses principaux symptômes ne sont pas sans risque. Pour le parent d’abord qui se donne des exigences excessives et s’épuise à remplir le cahier de charges démesuré qu’il s’est imposé. Pour l’enfant ensuite qui est soumis à une pression parentale souvent implicite mais néanmoins très forte. L’injonction qui lui est donnée de faire preuve d’une euphorie perpétuelle et de réaliser un parcours sans faute, contraint alors l’enfant à rassurer en permanence un parent rendu anxieux au plus petit échec, angoissé à la moindre difficulté et effrayé par tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à un contretemps dans cette course au bonheur.
Tout faire pour son enfant, c’est aussi étouffer pour lui. Et ce n’est pas ce qui est attendu d’un parent. Les enfants ont, pour grandir et s’épanouir, un urgent besoin de parents qui respirent et prennent le temps de le faire. Pour cela, il n’est sans doute pas inutile de nos jours de leur rappeler qu’une éducation réussie prend le plus souvent la forme d’un savoureux cocktail constitué d’une juste mesure d’intérêt bienveillant, d’un zeste de délicatesse affective et d’une énorme dose de sérénité.
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